lundi 28 janvier 2008

France - Afrique: Indépendance ou dépendance ?

Une fois de plus, j'ai lu pour vous un article qui nous renvoi à la figure le passé colonial de nos pays.
Bonne lecture et à bientôt.
MK.

Franc CFA et néocolonialisme monétaire

par Arnaud Zacharie


Au moment des indépendances, les ex-colonies françaises adoptent une
monnaie unique, le franc CFA (le franc CFA des Colonies Françaises
d'Afrique, créé en 1945, devient celui de la Communauté Financière
Africaine), attaché au franc français (parité fixe entre franc CFA et franc
français). Quoique monnaie africaine, le franc CFA est géré en dernier
ressort par la France, qui a pour mission d'assurer la parité entre les
deux monnaies. Cette réalité implique une véritable mainmise de l'Etat
français sur la politique monétaire africaine. Depuis janvier 1999 et
l'adoption de l'euro par la France, cette réalité s'est étendue à toute la
zone euro (la parité entre euro et FCFA a été fixée à 655,96 FCFA pour 1
euro).

La zone CFA se divise en trois sous-régions monétaires dirigées par trois
banques centrales respectives : l'UEMOA (Union économique et monétaire
ouest-africaine) est dirigée par la BCEAO (Banque centrale des Etats
d'Afrique de l'Ouest) et regroupe le Niger, le Togo, le Sénégal, le Mali,
le Bénin, le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire; la CEMAC (Communauté
économique et monétaire de l'Afrique centrale) est dirigée par la BEAC
(Banque des Etats d'Afrique centrale) et regroupe le Cameroun, la
Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad; enfin,
la BCC (Banque centrale des Comores) dirige la politique monétaire de la
République fédérale islamique des Comores.

Les statuts de ces banques centrales, bien que réformés en 1973, restent
nettement à l'avantage de l'ex-métropole. En effet, celle-ci peut
légalement bloquer toute décision monétaire au sein de la zone CFA. Ce
droit est assuré par la présence de représentants dans les conseils
d'administration respectifs : la BEAC est dirigée par treize
administrateurs, dont trois Français (article 3); la BCEAO est dirigée par
seize administrateurs, soit deux par pays membres et deux Français (article
49); enfin, la BCC est dirigée par huit administrateurs, dont quatre
Français (article 34).
Or, la BEAC ne peut délibérer qu'en présence d'au moins un administrateur
par Etat membre et un administrateur français (article 38), la BCEAO doit
prendre les décisions capitales à l'unanimité (article 51) et la BCC ne
peut adopter de décision qu'avec l'accord d'au moins cinq des représentants
(article 38). Cela signifie clairement qu'aucune décision monétaire au sein
de la zone CFA ne peut se prendre sans l'aval de la France.

Les enjeux d'un tel système sont évidents : la France a conservé des
relations commerciales et financières très développées avec ses anciennes
colonies. Aussi, la meilleure façon d'assurer la sécurité de ces relations
est d'assurer une stabilité monétaire entre les deux zones. Cette stabilité
est assurée par le lien fixe entre le franc français et la zone CFA : la
parité et la libre convertibilité sont assurées par le Trésor français. Une
telle garantie rassure les investisseurs français, puisque aucun risque de
convertibilité ne vient entraver le rapatriement régulier de leurs
bénéfices.

Les avantages présentés aux Africains sont quant à eux des plus artificiels
: outre l'attrait des investissements directs à l'étranger (IDE), qui comme
on l'a vu restent des plus timides, le franc CFA est censé épargner les
risques de change avec la zone euro et donc faciliter l'accès au marché
unique européen. Or, cet accès reste limité par les mesures de
protectionnisme permises à l'Union européenne par les accords de l'OMC
(aussi bien pour les produits manufacturés que pour les produits
agricoles). En outre, les relations commerciales sont largement restreintes
à l'exportation de matières premières, dont les prix sont à l'avantage des
pays riches du Nord (termes de l'échange).

Un autre avantage présenté aux Africains est qu'une monnaie unique facilite
la coopération entre les différents pays membres (ce qui empêche une
balkanisation monétaire de l'Afrique). Malheureusement, le fait que cette
monnaie unique soit gérée par une autorité extérieure empêche qu'elle soit
gérée dans ce but d'unité intérieure. En effet, l'Union européenne, en
héritant des accords franco-africains, a juridiquement toute liberté de
modifier selon ses intérêts la parité entre franc CFA et euro. C'est elle
également qui intervient au nom des pays africains sur le marché
international des devises pour défendre sa monnaie (les banques centrales
africaines n'ont donc aucune existence juridique sur le marché des changes).

A l'analyse, ces avantages sont non seulement artificiels, mais aussi
contre-productifs. Pour mesurer à quel point, il est nécessaire de
comprendre la logique qui sous-tend la mondialisation économique actuelle.
Au sommet de la hiérarchie mondiale, l'Europe occidentale et l'Amérique du
Nord visent une croissance basée sur l'importation de matières premières et
l'accumulation de capitaux et de technologies. Parallèlement, chacune des
deux régions cherche à asseoir la suprématie mondiale de sa monnaie. C'est
pourquoi l'objectif de monnaie forte et stable est prioritaire pour les
banques centrales de ces pays.
Le problème est qu'une telle politique monétaire est incompatible avec les
intérêts africains. D'abord, la politique de hauts taux d'intérêt appliquée
par l'Union européenne (et donc imposée à la zone CFA selon les accords
monétaires en application) pour attirer les capitaux internationaux est
nuisible à l'économie africaine, car elle implique des crédits trop élevés
pour les entrepreneurs locaux. Cet obstacle empêche les petites et moyennes
entreprises africaines d'exister, par manque de financement.

Ensuite, les relations commerciales de la zone CFA avec le reste de
l'Afrique et du Tiers Monde se trouvent handicapées par la politique de
monnaie forte imposée par l'Europe : le franc CFA étant surévalué par
rapport aux autres monnaies du Sud, les produits libellés en FCFA
deviennent trop chers pour ces pays. L'Afrique de la zone CFA se retrouve
ainsi coupée des marchés du Sud et condamnée à exporter des matières
premières bon marché vers le Nord (l'objectif final de l'Europe étant
évidemment la cotation des matières premières de la zone CFA en euro et
donc l'élimination de tout risque de change pour son approvisionnement).

Enfin, le principe du compte d'opérations, à la base de tout le système,
implique pour l'Afrique de la zone CFA une rigueur budgétaire exacerbée et
des fuites massives de capitaux vers l'Europe, ce qui représente pour la
région une véritable institutionnalisation de l'appauvrissement
socio-économique.

Le principe du compte d'opérations est simple et s'appuie sur le fait que
la France est chargée de garantir la convertibilité des deux monnaies. En
contrepartie de cette garantie, les banques centrales africaines (BCEAO,
BEAC et BCC) doivent verser 65% de leurs réserves de change (leurs avoirs
extérieurs) sur un compte du Trésor français appelé compte d'opérations.
Chacune des trois banques centrales de la zone CFA possède ainsi un compte
d'opérations ouvert à son nom par le Trésor français. A l'origine, les
banques centrales devaient verser 100% de leurs avoirs extérieurs sur ce
compte, mais depuis la réforme de 1973, ce montant a été réduit à 65% (le
reste devenant utile pour le remboursement de la dette extérieure).

Le Trésor français, fort de ces réserves, est ensuite chargé de fournir aux
banques centrales les fonds dont elles ont besoin. Selon le montant de ces
besoins et celui des avoirs extérieurs transférés vers le Trésor français,
le compte d'opérations se retrouve soit débiteur (les banques centrales
africaines doivent alors payer des intérêts au Trésor français), soit
créditeur (la France doit alors payer des intérêts aux pays CFA).

De 1962 à 1980, le compte d'opérations est largement excédentaire en faveur
de l'Afrique (l'excédent atteint jusqu'à 8,9% des réserves de change de la
France). Depuis lors, la tendance déficitaire s'est progressivement
accentuée, alors que les accords exigent qu'une situation déficitaire soit
rapidement corrigée. L'Afrique de la zone CFA entre alors dans une double
phase imposée d'austérité et d'évasion de capitaux : alors que les plans
d'ajustement imposent une réduction des budgets publics, le déficit des
comptes d'opérations dicte la même conduite à des pays financièrement
asphyxiés. Parallèlement, alors que les revenus d'exportation sont
largement destinés au remboursement de la dette, une part considérable de
ce qu'il en reste sont versés sur les comptes d'opérations déficitaires.

Entre 1986 et 1991, les cours des matières premières ont beau chuter
inlassablement, la zone CFA verse 65% de ses avoirs au Trésor français. Un
mécanisme tout particulièrement cynique se met alors en route : "Au moment
où les recettes d'exportations garnissent les caisses de l'Etat français,
les Africains souffrent des affres du sous-développement et excellent dans
la mendicité de l'aide financière internationale généreusement octroyée par
la France en puisant dans leurs propres avoirs extérieurs déposés en compte
d'opérations ouverts à Paris." (Agbohou, 1999, p. 70)
Le rôle de la France est ainsi on ne peut plus aisé dans ce système,
surtout qu'elle peut dans le même temps utiliser l'excédent d'un pays pour
boucher le déficit d'un autre. Parallèlement, la France peut s'allier au
FMI et pousser à ce que ces pays adoptent des plans d'ajustement
assainissant leurs finances publiques -- la France appuiera par exemple en
1996 le putsch au Niger d'Ibrahim Maïnassara contre le président Mahamane
Ousmane, devenu réticent envers les plans d'ajustement du FMI et de la
Banque mondiale (Agbohou, 1999, pp. 112-120). La santé et l'éducation sont
ainsi sacrifiées au nom d'une parité fixe à conserver (en plus d'une dette
à rembourser). On comprend mieux les motivations françaises, lorsqu'en 1996
au Niger

Selon les statuts de l'accord, lorsque les avoirs extérieurs sont jugés
insuffisants pour combler le déficit du compte d'opérations, la France peut
décider unilatéralement la dévaluation du franc CFA. C'est ce qu'elle fait
en janvier 1994 avec la dévaluation de 50% du franc CFA. Du coup, 1 franc
français qui valait 50 FCFA hier vaut 100 FCFA aujourd'hui. Et les avoirs
extérieurs versés par la zone CFA sur le compte d'opérations doublent en
valeur relative (le compte d'opérations s'améliore de 11 milliards de
francs français en 1994).

En outre, l'aide publique au développement (APD) versée par la France en
franc français double de valeur en franc CFA (1 million de francs français
équivalent désormais à 100 millions de CFA, contre 50 millions avant la
dévaluation).

Une nouvelle fois, les intérêts de la France sont en phase avec les
politiques d'ajustement du FMI et de la Banque mondiale. En effet, les
plans d'ajustement débutent traditionnellement par une double thérapie de
choc : la hausse des taux d'intérêt (pour attirer le capital international)
et la dévaluation.

Le but de la dévaluation est d'accentuer la compétitivité des exportations
: vu que les matières premières sont cotées en dollar, elles deviennent
moins chères pour l'extérieur et donc plus alléchantes après une
dévaluation (en effet, alors qu'avec 1 franc français on pouvait acheter un
ananas de 50 FCFA, depuis la dévaluation on peut acheter deux ananas avec
le même franc).
Parallèlement, un pays exportateur gagnera le double en monnaie nationale
pour un même produit après une dévaluation de 50% (la valeur du dollar en
franc CFA étant deux fois plus élevée qu'avant la dévaluation,
l'exportation d'un baril de pétrole à 25 dollars rapportera 17 500 FCFA
après la dévaluation, alors qu'il ne rapportait initialement que 8 750
FCFA).

Le problème est que simultanément, le prix des importations augmente
d'autant, ce qui peut engendrer un déficit de la balance commerciale et une
inflation importée (il faut 100 000 FCFA pour importer un produit de 1 000
FRF, alors qu'il ne fallait que 50 000 FCFA avant la dévaluation). C'est
précisément ce qui affecte les pays de la zone CFA en 1994 : le prix des
produits alimentaires et des produits importés augmente de plus de 50% et
celui des carburants de 20 à 30%.

Heureusement, les cours des matières premières reprennent quelques couleurs
en 1995-1996 (hausse de 25% des produits de base non pétroliers entre 1993
et 1996), ce qui stabilise temporairement le déficit commercial.

Mais la brutalité du choc ne laisse pas tout le monde indemne : si
l'augmentation des prix dépasse 50%, celle des salaires ne dépasse pas 15%,
ce qui aboutit à une chute du pouvoir d'achat relatif des populations.

En outre, vu que le franc CFA a perdu la moitié de sa valeur, l'importateur
français peut acheter deux ananas pour 50 FCFA au lieu d'un seul avant la
dévaluation, ce qui contraint les pays de la zone CFA à exporter le double
de produits pour acquérir une même somme de devises étrangères. Cela
aboutit à une dilapidation des ressources naturelles et à des dégâts
environnementaux considérables (déforestation, monocultures industrielles
détruisant les terres cultivables, etc.).

Enfin, l'investissement réel n'est en rien stimulé par une telle mesure,
bien au contraire : l'augmentation du volume des exportations de produits
primaires ne répond pas à une croissance de la demande dans les pays
riches, tandis que les investisseurs doivent importer des biens
d'équipement à des prix croissants, ce qui les décourage. A l'arrivée,
l'effet de dopage sur le volume des exportations prophétisé par le FMI ne
se vérifie guère sur le terrain et la sous-industrialisation du continent
se perpétue.

Le peu d'investissements privés étrangers qui s'opèrent au sein de la zone
CFA ne sont d'ailleurs que peu profitables à l'économie locale : l'accord
de coopération monétaire entre le franc français et le FCFA implique une
liberté totale des transferts de capitaux entre les deux zones. Cette
liberté aboutit à un rapatriement massif des bénéfices des investisseurs
étrangers vers leur maison-mère et à un exode des revenus des ménages
expatriés vers leur pays d'origine : entre 1970 et 1993, alors que les
investissements étrangers s'élevaient à 1,7 milliards de dollars, le
rapatriement des bénéfices et des revenus d'expatriés s'est élevé à 6,3
milliards. Les rapatriements ont donc été quatre fois supérieurs aux
investissements (Agbohou, 1999, p. 87).

Une telle réalité a évidemment le don de tuer tout espoir de constitution
d'une épargne locale, pourtant indispensable au développement de l'Afrique.
Le pire est que ce système aboutit à une véritable institutionnalisation
durable de la fuite des capitaux africains (d'où déficit de la balance des
paiements, endettement, dépendance envers l'extérieur et
sous-développement).

En résumé, les quatorze pays africains de la zone CFA sont privés
d'autonomie monétaire, condamnés à l'austérité, aux hauts taux d'intérêts
et aux dévaluations à répétition, impuissants face à l'exode massif des
capitaux et privés d'investissements productifs. Limités à l'exportation de
matières premières vers l'Europe, ces pays sont coupés du reste du Sud,
dépendants de fluctuations extérieures et condamnés à affecter leurs avoirs
extérieurs au remboursement de la dette et au compte d'opérations. Sans
capacité budgétaire, comment s'étonner que les pouvoirs publics ne peuvent
garantir l'éducation, la santé et l'alimentation aux populations locales ?
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